Le cirque

Il y a un demi-siècle (vers 1920 à 1950), c'était tout un événement que l'arrivée d'un cirque.  Déjà l'annonce multicolore affichée partout à travers les rues de la ville réjouissait autant les adultes que les enfants.  On allait regarder les affiches, on en parlait, on en rêvait.  Enfin le jour tant attendu arrivait.

Chez nous, toute la famille "endimanchée" partait surexcitée de joie.  Mon père toujours avisé nous amenait à l'arrivée "proprement dite" du cirque pour voir descendre les fauves du train et les voir monter dans leur cage dorée et rutilante de couleurs vives.  Ainsi, nous admirions gratuitement tous ces animaux venus de pays lointains.

Pour descendre du train, les éléphants se mettaient d'abord à genoux puis ils levaient une patte énorme et la déposaient lentement sur un large marche-pied, puis les trois autres pattes suivaient,  L'animal levait la tête, ses yeux alors souriaient à ceux qui étaient venus l'accueillir.  Personne ne parlait, tant ce spectacle était impressionnant.  Ensuite, dociles, tous les éléphants s'acheminaient à pied à leur emplacement désigné.  D'autres animaux superbes sortaient du train et entraient directement dans leurs cages qu'on avait installées, collées sur le train.  L'arrivée de ces animaux était un spectacle par lui-même.

Après, on se rendait à la "Place du Cirque" pour regarder les hommes installer les tentes.  C'était d'abord les piquets : les hommes préposés à ce travail manoeuvraient à une vitesse incroyable.  Deux hommes par piquets : l'un abattait une masse sur un piquet, l'autre continuait et ainsi de suite à tour de rôle, tout cela si vite que l'on croyait voir tourner une roue.  Une autre équipe d'hommes, toujours vêtus d'une petite culotte rouge, poussaient devant eux un rouleau de broche qu'ils fixaient à chaque piquet et tous travaillaient à une vitesse vertigineuse.  Quant aux chapiteaux et aux tentes, c'était tout simplement "épeurant" pour les enfants.  Cette immense toile qui s'étirait, se gonflait, s'élevait et retombait avec des soubresauts convulsifs me faisait penser à une énorme chauve-souris qui pouvait s'abattre sur nous.  Un chef commandait d'une voix d'orgue, des ouvriers criaient aussi, et moi je serrais très fort la main de mon père.  Finalement je pleurais et mon père me portait dans ses bras.     

Toute la journée se passait dans les préparatifs, mais déjà des bouffons se promenaient dans l'enceinte, des voitures de pop-corn et de frites attiraient la petite foule car beaucoup de gens ignoraient qu'on pouvait aller à l'arrivée d'un cirque : c'est pourquoi sans doute on tolérait ceux qui s'étaient donné la peine d'y aller.  Quand les chapiteaux et les tentes étaient montés, plusieurs garçons et même des hommes, couchés par terre à plat ventre, rentraient la tête sous la tente pour regarder ce qui se passait à l'intérieur.  Je me rappelle encore ce jour fatidique qui me faisait si peur.  

Ensuite, une fois le cirque installé, on y retournait plusieurs fois, non pas que mon père avait de l'argent à jeter par les fenêtres, bien au contraire.  Il n'était pas question pour nous d'entrer dans chaque tente.  On y allait pour le plaisir d'y aller, de regarder, de voir.  Il y a tant de choses à observer dans un cirque sans débourser : la foule, la musque, les bouffons qui déambulent en faisant mille folies, les animaux à l'air libre, quelques harangues par des bohémiens à la langue bien aiguisée.  Tout cela ravissait les enfants.  Il y avait aussi les pommes de tire d'un rouge étincelant et des cornets de ouate rose.  Nous étions d'autant plus heureux que chacun de nous avait son ballon rouge ou sa petite canne achetée sur les lieux.

Revenus à la maison tout éblouis, pendant des jours et des jours nous racontions tout ce que nous avions vu au cirque aux petits voisins qui n'avaient pas eu la chance d'entrer dans ce monde fabuleux.

Lorraine Nacké

Cher Automne,
Votre chronique est toujours aussi fascinante. Je me souviens du cirque et surtout des éléphants. Je me disais du haut de mes six ans que si mon Papa avait un éléphant, il pourrait faire reposer nos cheveaux pour arracher des roches et des arbres sur notre ferme ainsi que sur les terrains le long du Lac.

Je me voyais comme dans le film noir et blanc ou le petit Indou qui travail avec son éléphant avec sa petite baguette. Comme votre tante, nous avions le droit de dépenser $0.25 max. et nous allions une seule fois.
Il est vraie que une Barbe à Papa à $0.07, un cola à $0.10, une frite à $0.10 mais elle était grosse (pour 2).
Il y avait des jeux à $0.01 et 0.02 sous pour amuser les pauvres et je suis assuré que cela payait plus que les jeux à $0.25 et $0.50. 

Une fois par année, nous organisions une Tombola pour les Fermières et ma Mère était Présidente. Les jeux les plujs stupides et les moins dispendieux étaient ceux les +++payants. (Roue de fortune, lancer du cercle sur des bouteilles, Bowling de table, Jeux de poches géants et petits etc.....

Merci René.  Votre témoignage est aussi fort intéressant.  Ce serait bien que d'autres membres greffent aussi leurs souvenirs à ces chroniques.

Mon seul souvenir d'enfance du cirque est une photo de moi à côté de la voiture-cage des tigres.  Le cirque était installé sur les terrains voisinant le Stade De Lorimier, angle De Lorimier et Ontario à Montréal.  Mon père m'y amenait et reprenait la coutume de mon grand-père.  J'avais 3 ans.