Le moulin à coudre

Comme ma tante Bine faisait toute notre couture, c'était toujours une fête quand elle nous confectionnait de petites robes d'été pendant nos vacances. Nous restions tout autour du moulin à coudre et nous regardions ma tante comme une fée. En effet, dans un grand morceau de coton surgissait tout à coup la plus belle petite robe ou un joli jupon.

Ordinairement, nous restions dehors quand ma tante travaillait à la couture et seule celle parmi nous qui attendait sa robe avait le privilège de rester à la maison pour l'essayage. Mais les jours de pluie, toutes ces petites demoiselles se tenaient autour du moulin à coudre, étourdissant ma tante de leurs exclamations joyeuses.

Quand elle avait terminé, nous pouvions toucher et ouvrir les petits tiroirs du moulin, si aguichants pour des fillettes de six à dix ans. Six petits tiroirs étroits et longs débordaient de trésors multicolores : des boutons de toutes sortes, des rubans de soie et de velours, de petites bobines, des fuseaux, des rouleaux de fil nous amusaient pendant de longs moments. Oh! comme il fallait peu de chose en ce temps-là pour intéresser les enfants. C'était vers les années 1920-1925.

Et le soir quand nous montions nous coucher, nous pouvions retrouver toutes nos robes et même celles de ma tante et celles de notre grand-mère, étendues de ci de là sur tous les lits de la maison. Eh! oui, ma tante Bine confectionnait durant l'hiver de beaux couvre-pieds en courtepointes avec toutes les retailles de couture qu'elle avait amassées durant toute l'année. Ainsi, avant de nous endormir, nous cherchions à qui "était" ce petit morceau quadrillé rouge ou ce morceau de satin vert : - C'est ma robe de l'été passé. - Non, c'était à moi cette robe-là, il y a deux ans. - Tiens, la robe de maman, oui, oui, je me rappelle bien quand elle la portait." Cela n'en finissait plus, tant ces couvre-pieds semblaient être de véritables catalogues que nous feuilletions chaque soir en riant.

Les gros couvre-pieds d'hiver étaient faits avec des manteaux coupés en morceaux et quand ma tante nous montrait des pièces ayant appartenu à nos parents en 1898 ou en 1910 et ainsi de suite, nous devenions toutes recueillies. Pensez donc, des morceaux de 1898! cela nous semblait venir de temps lointains.

Durant nos vacances d'hiver que nous allions passer à la campagne chez ma tante Bine, le même jeu recommençait chaque soir : "N'est-ce pas, ma tante, que c'était le manteau de grand-maman en 1898, celui-là? - Mais non, c'était à ta maman en 1915. - Et celui-ci, criai-je, c'était à grand-papa en 1608!" - Ah! celle-là!" C'est que je venais d'apprendre un peu d'histoire du Canada et j'étais toute contente de citer une date à mon tour. Mais ce n'était pas la bonne, à ce que j'ai cru comprendre.

Lorraine Nacké.