L'Âge d'Or - 2) suite

Un monde nouveau avait surgi de la guerre. Vint l'électricité : en ce temps-là, les enfants jouaient dehors en faisant des rondes dans la rue tout en chantant tandis que les parents s'asseyaient en apportant leurs chaises devant la maison d'une amie et causaient jusqu'à ce que l'allumeur de réverbères vienne allumer la lampe à gaz du poteau à intervalles réguliers. C'était le signal. Allons, les enfants, on rentre! Et tout le monde disparaissait. Avec l'électricité vint aussi le téléphone : seuls les riches en avaient un. On remplaça les trottoirs de bois par des trottoirs en ciment, les chevaux par les autos. On coupa nos robes en deux pour ainsi dire, on coupa nos cheveux. C'était à celui qui aurait l'air le plus fou, quoi! Le fard et la cigarette firent scandale. Un beau jour, la glacière fit son apparition et les poêles à bois et les grosses tortues du passage durent sortir de la maison pour faire place au poêle électrique ou au gaz. On sortait tout des maisons avec une folle frénésie. Il fallait être à la mode. Chacun avait son nouveau set de chambre, son nouveau set de salle à dîner, etc., etc. C'en était fini des belles choses d'autrefois. Ces années florissantes ne durèrent qu'une dizaine d'années. La Crise sournoisement s'avançait. On avait beau fermer les yeux, tourner la tête pour ne pas voir son sceptre affreux. Un jour, épouvanté vous vous aperceviez que la Crise était entrée chez vous. La veille, on avait bien remarqué que le père était revenu du travail, plus fatigué, plus morose que d'habitude et, tout en se berçant le soir, il était resté sombre et taciturne. Le lendemain matin, la mère apprenait aux enfants que leur père ne travaillait plus. Il fallait déménager, prendre un loyer moins cher, se priver sur tout. C'était la Crise. On fonda le Secours Direct pour empêcher le monde de mourir de faim. Années de misère et d'humiliation avec ses maudits billets de Secours Direct qu'on distribuait à chacun pour se procurer des denrées à petites mesures. Après ces années noires que rien ne semblait résoudre et quand le monde entier fut rendu aux dernières extrémités du désespoir, on jugea l'heure propice pour déclarer la guerre de 1939-1945. Guerre de honte et de scandales pour l'humanité.

Encore une fois, tout a changé après la guerre. Les femmes sortaient nu-tête. Plus de chapeaux, plus de gants pour sortir! Est-ce possible, plus de politesse entre les gens! On ne fit pas que couper les robes en deux. On supprima la robe. Vint le progrès incessant de la machine, de l'humain robotisé, et depuis lors ce fut de plus en plus la décadence d'un monde. On supprima l'Église, l'instruction, l'éducation, l'autorité. La pornographie devint la vision normale des êtres. La mode subjugua le monde entier jusqu'à imposer le même habit : hommes, femmes, enfants se sont costumés en jeans sans s'apercevoir qu'ils portaient tous le même habit d'esclavage. Nous vivons dans un monde qui change et qui fait peur.

Lorraine Nacké