Genois, Fernand, frère de Saint-Vincent-de-Paul depuis plus de 60 ans

À 85 ans, Fernand Genois est un frère de Saint-Vincent-de-Paul depuis plus de 60 ans. À sa façon, c'est un mouton noir, «un franc-tireur».

Le Soleil, Pascal Ratthé

Mylène Moisan
Le Soleil

(Québec) S'il était pape, Fernand Genois permettrait aux femmes de devenir prêtres. Il offrirait aussi des contrats de cinq ans, après quoi les voeux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance viendraient à échéance. Ça s'appellerait des promesses, pas des voeux. Fernand Genois ne sera jamais pape.

L'homme de 85 ans est un frère de Saint-Vincent-de-Paul depuis plus de 60 ans. Il en a des histoires à raconter. Des histoires d'hommes et d'hommerie, qui mettent un gros bémol sur les bondieuseries. Il est entré chez les frères pour aider les jeunes, il a fallu qu'il sorte du rang pour le faire.

À sa façon, c'était un mouton noir, «un franc-tireur». Je l'ai rencontré la semaine passée au café Les Colocs de Limoilou avec Réjean Fleury, qui signe sa biographie, Fernand, un Saint-Vincent involontairement délinquant. On n'est pas dans la grosse délinquance ici, on est plutôt dans l'inconfort d'un homme coincé dans un carcan.

On est aussi dans «l'erreur de jugement» de celui qui a eu, avec un autre homme, «des gestes inappropriés pour un religieux». C'était en 1977, dans un motel. «Deux adultes consentants», peut-on lire dans la bio. Fernand jure que ça ne s'est jamais reproduit, qu'il est chaste depuis. Il se le fait parfois remettre sous le nez. Même entre apôtres de Jésus, ça joue parfois du coude. «Ça fait mal.»

Ça lui a permis de prendre tout le poids des voeux qu'il s'était engagé à respecter. Mais ça ne l'a pas empêché de faire son chemin, de bousculer l'ordre établi, de faire ce qu'aucun frère n'avait fait avant lui. Hiérarchie catholique oblige, le frère ne devait pas avoir d'autres ambitions que celle de prier ou de servir. Les pères commandaient, les frères obéissaient. Non merci pour lui.

J'ai eu un cours de religion 101, j'en avais bien besoin. Depuis mon secondaire chez les religieuses, je n'ai pas remis les pieds dans une église. Je connaissais les grandes lignes, pas les petits caractères. C'est un peu ça aussi, les ordres religieux. Des conventions, des règles écrites ou non, des hiérarchies. Tout ça mêlé à l'ambition de ces hommes qui ont fait voeu d'obéissance.

Il y a un monde entre la théorie et la pratique. Les religieux de Saint-Vincent-de-Paul en menaient large à Québec avec les Patro, qui ont remis plus d'un jeune sur le droit chemin. Ils en ont scrappé quelques-uns, quand des pères comme Denis Vadeboncoeur se tapaient des enfants. Il est mort en prison il y a deux ans.

Fernand Genois était responsable du Patro Roc-Amadour dans les années 70 quand Vadeboncoeur a demandé de louer une petite maison en retrait, question de pouvoir «donner une formation chrétienne plus poussée» à certains jeunes. Genois a dit non, sa décision a été renversée. La petite maison a été louée. Le curé y est allé avec son mauvais coeur, des enfants ont payé le prix.

En fait, quand le frère Genois a été mandaté pour faire de l'ordre dans les finances du Patro, ça marchait tout croche. Rien d'ouvertement illégal, mais rien que des contrats de gré à gré, sans l'ombre d'un appel d'offres, sans même demander la permission des gestionnaires en place. Genois demandait des contrats, des reçus. Certains ne lui ont jamais pardonné. Ils ne s'en sont pas confessé non plus.

Il s'est fait montrer la porte des Patro, de façon pas trop catholique. On ne saura probablement jamais la vraie histoire. Fernand avait d'autres projets. «J'avais rencontré Pops à Montréal, avec sa roulotte pour les jeunes de la rue.» En 1994, le frère Genois a mis sur roues Le Marginal, qui offre du réconfort, du café et des hot dogs. Une deuxième roulotte, La Bohème, a été ajoutée en 2003.

Il a fondé aussi la maison Marie-Frédéric, qui accueille les poqués depuis 1987 pour les aider à se reprendre en main. En 1999, il a eu l'idée d'un refuge pour fugueurs, qu'il a baptisé le Gîte du Nomade. C'est devenu le Squat Basse-Ville.

Tout ça, il l'a fait un peu envers et contre la volonté de ses supérieurs, qui auraient préféré qu'il se tienne tranquille. Qu'il prie dans son coin sans trop déplacer d'air. «Je n'étais pas un grand priant.»

À 85 ans, le frère fait toujours bande à part. Il reste en appartement à quelques jets de pierre de sa communauté. Il s'en fout un peu. «J'ai eu une belle vie. J'ai la conscience tranquille.» C'est cette même conscience qui lui fait dire que les femmes devraient pouvoir devenir prêtres. Et qu'on pourrait s'engager en communauté pour un certain nombre d'années. Cinq ou dix, c'est selon. C'est pas près d'arriver, Rome est un rocher sur lequel vient se fracasser chaque vaguelette de modernité.

Un nouveau pape n'y changera rien.